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Cameroun: que coûte la présidence à vie de Paul Biya? [Grand Angle]

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Au Cameroun, la présidence à priori ad vitam du leader Paul Biya n’est pas sans conséquence sur l’économie du pays. C’est en tout cas ce que révèle OCCRP, une organisation camerounaise de journalisme d’investigation.  Secret de polichinelle au Cameroun: entre Paul Biya et les voyages internationaux, avec des destinations privilégiées sur la Suisse, existe une histoire d’amour et de longue date.

En octobre 2016, quand un train surchargé a déraillé dans la petite ville d’Eseka, tuant plus de 75 personnes, Biya effectuait une « brève visite privée en Europe », comme son bureau le rappelle. Le président n’est revenu de Suisse que deux jours après la catastrophe, exprimant enfin ses condoléances sur le tarmac de l’aéroport.  De même, un an plus tard, Biya était en déplacement pour une autre visite « privée » en Suisse lorsque des manifestations ont éclaté dans l’ouest du Cameroun au sujet de la marginalisation de la population minoritaire anglophone. Il n’est pas revenu que trois semaines plus tard. Pendant son absence, ses forces de sécurité ont violemment réprimé les manifestants, déclenchant ce qui est devenu depuis une sorte de guérilla.

Que révèle l’enquête ?

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Après avoir passé en revue 35 ans de rapports dans les journaux d’État, l’OCCRP fait une « estimation prudente » selon laquelle, Paul Biya a passé plus de 15 % de son temps depuis qu’il est devenu président en 1982 à l’étranger, soit au moins 4,5 ans au total pour des ses « courtes visites privées », et une année supplémentaire pour des visites officielles.

Le rapport révèle également que le pic de ces temps à l’extérieur a été atteint entre 2006 et 2009 où Biya a passé un tiers de la période à l’étranger. Ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé puisque les archives du Cameroon Tribune ont des « lacunes qui s’étendent sur plusieurs années », indique le rapport. Il est apparemment inconnu de ce qu’il fait lors de ces voyages, avec des rumeurs allant des voyages de shopping aux visites à l’hôpital.

La grande majorité des voyages se font à Genève, à l’hôtel cinq étoiles Intercontinental, qui offre une piscine et une vue magnifique sur le lac Léman et le Mont-Blanc. Il est souvent accompagné de son épouse Chantal, réputée pour ses coiffures défiant la gravité, tout comme un entourage pouvant compter jusqu’à 50 personnes, dont des ministres, des gardes du corps, des majordomes et divers autres membres du personnel.

L’un des plus proches confidents de Biya, Joseph Fouda, officier militaire et conseiller spécial, l’a accompagné au moins 86 fois, soit plus de trois ans de voyage depuis 1993. Biya préfère une chambre au dernier étage de l’Intercontinental. Un autre confident proche, Martin Belinga Eboutou, 78 ans, a passé près de trois ans à voyager avec le président à partir de 1987, lorsqu’il était ambassadeur du Cameroun au Maroc.

22 millions de FCFA par jour

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Le Cameroun est un pays à faible revenu : un quart de ses 23 millions de citoyens gagnent moins de 2 dollars par jour. Certains font partie des plus de 3 000 migrants qui se sont noyés en Méditerranée en 2017.
De l’autre côté, L’OCCRP a révélé que les frais d’hôtel et les coûts des avions s’élèveraient à environ 182 millions de dollars pour tous ces voyages. Et ce, alors que le Chef de l’Etat gagne en moyenne 1 400 dollars par an, selon la Banque mondiale.

Selon les calculs conservateurs des journalistes, la facture totale d’hôtel de Biya et ses collègues pour un séjour à Intercontinental, s’élève à environ 40 000 $ par jour. À ce rythme, le coût de tous les voyages privés du président (1 645 jours au total) s’élèverait à environ 65 millions de dollars depuis son arrivée au pouvoir, sans compter la nourriture, les divertissements et la location d’un avion privé.

Concernant ce dernier aspect, le rapport révèle que le président a tenté d’acheter un tout nouveau jet privé en 2004, mais son personnel aurait coupé court à l’affaire en achetant un avion défectueux recouvert d’une nouvelle couche de peinture qui s’est presque écrasé lors de son premier vol. Depuis lors, Paul Biya a affrété au moins plusieurs avions privés, y compris un jet de luxe anciennement détenu par le gouvernement du Kazakhstan.

Jusqu’alors, on ne sait pas exactement combien des frais totaux de voyage du président proviennent de la partie du budget national alloué à son bureau, qui s’élevait à 104 millions de dollars en 2018.
Selon le Fonds monétaire international, plus de 300 millions de dollars des recettes de la compagnie pétrolière nationale du Cameroun en 2017 n’ont pas été comptabilisés. Le président a un contrôle sur la société, dont les ventes de pétrole, selon un câble diplomatique américain divulgué par WikiLeaks, ont historiquement été utilisées comme caisse noire.

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Toutefois, les Camerounais paient d’autres façons les escapades du président à l’étranger. Chaque fois que le cortège Biya revient à Yaoundé, une douzaine de voitures luisantes, dont une ambulance, se faufilent dans les rues. Pour assurer un bon déroulement du trafic, la circulation est bloquée sur les routes principales, parfois toute la journée. Les tireurs d’élite sont positionnés au sommet des bâtiments. Des soldats taciturnes en tenue de camouflage vert se tiennent à chaque coin avec des fusils d’assaut en bandoulière sur leurs gilets pare-balles. Les voitures, les motos et les piétons sont interdits de traversée. Les taxis jaunes de la ville doivent passer la journée en stationnement, sans revenus, révèle le rapport.

Si au Cameroun on ne sait toujours pas si Biya sera candidat à la prochaine élection, il faudra encore attendre encore pour savoir combien de temps l’économie camerounaise devra supporter les « voyages privés » du « clan » Biya.

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