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Pornographie en Afrique, silence ça tourne! [Enquête]

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S’appeler acteur de la pornographie en Afrique, pratique qui, cela va de soi, rebute la morale, n’est pas chose aisée. Le sexe en général d’ailleurs reste un sujet interdit. Une omerta.

Phase de croisière : la pornographie, contre vents et marée, se démocratise en Afrique. Le marché d’écoulement des produits X reste charitablement spacieux. A Dakar, c’est la mise en ligne d’un site web, censé faire la promotion des films X made in Sénégal qui a suscité le courroux auprès des évangélistes de la morale. A Lagos ou à Abuja, ces genres d’entreprises ne font plus l’apanage d’une tranche de personnes dévouées, conscientes du risque et de la menace socioculturelle qu’ils encourent, et qui l’assument comme une tendance « fiers d’être ».

En Afrique, la pornographie se fait dans tous les coins, à l’aide de quelques moyens fort peu onéreux. Douala, Kinshasa, Brazza, Abidjan, Accra, Johannesburg… on ne le dira jamais assez. Aussi longtemps qu’il est improbable d’arriver à une société sans prostitution, il est difficile de combattre la pornographie.

Entre ces deux mondes, existe juste une passerelle. Les choses sont peut-être liées au développement. Pour Amély-James Koh qui milite contre la prostitution, « le secteur de la pornographie est en « développement constant » sur le continent. C’est aussi le cas à l’international où l’on remarque de plus en plus de noirs dans « les produits X ». Cela « répond à un culte du corps noir, à un désir d’exotisme », explique Amély-James Koh. Comme quoi, la perle est nègre, la prééminence est hellène. On n’est pas loin d’une Porn Valley en Afrique.

Industrie pornographique en Afrique : la success story

« Il existe une industrie de production pornographique en Afrique. Mais c’est difficile de quantifier avec précision ses succès », confie un chercheur sud-africain auteur d’un livre à paraître sur la question. « La pratique reste encore souterraine. La plupart de ses barrons sont inconnus », poursuit-il.

Sur Internet, plus de 35% des téléchargements effectués contiennent de la pornographie. Les sites pour adultes occupent 4,41 % de l’ensemble des visites mondiales, et les plus importants comptabilisent jusqu’à 4,4 milliards de pages vues par mois. En Afrique, « il existe à Douala et Abidjan des jeunes femmes qui suivent des leçons pour découvrir les différentes techniques du porno. Et naturellement, les « instructeurs » n’hésitent pas à donner des cours pratiques aux femmes tout en évaluant les capacités des hommes qui veulent être ‘hardeurs’ », témoigne Koh Bela. Une étude menée par le site TheNextWeb.com a révélé le classement des pays ayant le plus de sites pornos hébergés sur leur territoire. Ce classement dévoile en deuxième position, un pays africain : l’Egypte, un pays malgré tout, très conservateur. Mais l’Afrique du Sud reste un leader sur le continent. L’industrie du sexe représenterait dans le pays près de 60 millions de rands.

Il y a également le Nigéria et d’autres pays comme le Cameroun qui sont des pôles de production de films X. Pornographie C’est ainsi que le Nigéria qui abrite l’une des plus importantes industries cinématographiques de la planète a décidé d’exporter des vidéos et d’élaborer différents types de contenus. Ces contenus « sont diffusés en ligne sur divers portails Web », affirme Philippe Di Folco. Ce dernier, auteur du célèbre « Dictionnaire de la Pornographie », confirme que « la demande est forte chez les classes moyennes supérieures et inférieures qui se sont équipées en matériel vidéo ».

Pour évoluer, l’industrie de la pornographie tente de résister et de contourner les piratages vidéos et la législation. La production ou la diffusion de pornographie étant interdites dans plusieurs pays, les équipes rusent. Elles dissimulent leurs réelles intentions pour décrocher des autorisations de tournage, procédé machinal au Maroc, destination prisée, ou elles font jouer leur réseau d’influence.

Le co-fondateur du réseau pour adultes Sondeza, Tau Morena, a révélé que l’industrie du sexe représente un volume de 6,1 millions d’euros, des chiffres qui restent encore néanmoins à vérifier. Selon toujours ses données, l’Afrique du Sud en 1990 écoulait environ un million de productions chaque année contre actuellement 150.000 en moyenne. Loin de parler d’un désintérêt des consommateurs, cette situation s’explique plutôt par une révolution numérique forte en Afrique.

La pornographie est délocalisée des CD traditionnels, exposés à des risques de censures, vers le web où le contrôle est difficile, et où la pudeur et la morale sont (dorénavant) foulées au pied.

Devenir un(e) pornographe n’est plus soumis en Afrique à un exercice de casting. Un smartphone et une connexion internet, suffisent pour attirer beaucoup de consommateurs sur un ébat sexuel nouvellement mis en ligne. De l’autre côté, la consommation devient plus facile. Pas la peine de débourser une somme (souvent comprise entre 500 F CFA et 6.000 F CFA) pour s’offrir un CD. Geste mal en vue d’ailleurs…

Faire ou ne pas faire : en Afrique, que disent les lois ?

La pornographie est de plus en plus présente dans le quotidien des Africains grâce au web et les chaines de télévision aussi étrangères que locales. Cependant les lois de certains pays ne l’autorisent pas.

Un grand nombre de pays réglementent strictement la liberté de publication des œuvres pornographiques en contrôlant l’âge minimum, les lieux d’accès ou le type d’images qui peuvent être représentées. Au Nigeria, les autorités de Lagos ont fini par demander aux parents de surveiller strictement leurs enfants.

Dans la même veine, le Sénégal a adopté en 2007 une loi portant sur la Cybercriminalité. Un accent particulier est mis sur la pornographie infantile, définie selon cette loi comme « toute donnée quelle qu’en soit la nature ou la forme représentant de manière visuelle un mineur se livrant à un agissement sexuellement explicite ou des images réalistes représentant un mineur se livrant à un comportement sexuellement explicite ». La constitution prévoit d’ailleurs une peine d’emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de 5.000.000 à 15.000.000 de francs CFA

Au Togo, même son de cloche. Le pays n’est pas encore comme un grand producteur cinématographique, encore moins des films X. La pornographie rentre dans les infractions de proxénétisme et des actes contre nature. Elle est donc punie. La peine peut être un emprisonnement de 3 ans à perpétuité.  En Ouganda, autre nouveau pôle émergent de cette « activité illégale », une loi adoptée en 2014 prévoit une peine pour les pratiquants. D’ailleurs, les autorités y vont jusqu’à interdire d’ailleurs les mini-jupes jugées comme… « signe annonciateur ». Le Soudan du Sud, pays caractérisé par une instabilité politique, prévoit dans son code pénal trois ans de prison.

Selon un jeune pornographe béninois, la pornographie en Afrique « favorise l’émancipation de la communauté noire ». Peut-être pas faux. Selon Koh Bela « en Côte d’Ivoire, au Cameroun… les acteurs pornos sont adulés et présentés comme des modèles de réussite pour la jeunesse, qui ne se fait pas prier en cas de sollicitation ». On l’ignore peut-être, être pornographe en Afrique, c’est aussi entreprendre. Mais demandez aux défenseurs de la morale, ils vous diront naturellement le contraire : la pornographie est autant ignoble vis-à-vis de la religion que de l’éthique.

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