Accueil Maghreb Algérie L’Algérie réclame 36 crânes de ses indépendantistes à la France

L’Algérie réclame 36 crânes de ses indépendantistes à la France

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Redécouverts en 2011, les crânes d’une trentaine de combattants algériens, décapités pour avoir combattu la colonisation française au milieu du XIXe siècle, sont actuellement gardés dans les réserves anthropologiques du Musée de l’Homme à Paris. L’Algérie cherchant à rapatrier ses « réserves » n’a toujours pas encore un OK favorable du côté de l’ancienne colonie.

Mercredi 1er novembre, l’Algérie a célébré son 63e anniversaire depuis la déclaration de la lutte pour l’indépendance de la France après 132 ans de domination coloniale. La guerre a duré près de huit ans, entraînant environ 1,5 million de morts d’Algériens. Après l’indépendance en 1962, les autorités françaises ont emporté un nombre inconnu de crânes appartenant à certains des martyrs algériens, dont beaucoup ont été exposés au Musée national français d’histoire nationale à Paris.

En effet, en 1849, l’oasis de Zaâtcha avait été attaquée par les troupes du général Herbillon. La population et les chefs de la région sont sauvagement tués. Les Chioukh Bouziane, Moussa et Lahcène sont fait prisonniers par les zouaves du commandant Lavarande. Sur ordre du général Herbillon, ils sont exécutés et leurs têtes exposées sur la place de Biskra.

Lorsqu’elles sont expédiées en France, chacune des têtes était accompagnée d’une étiquette, longue bande de parchemin, portant le nom du chef décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine et la signature du Colonel de Neveu et de M. Gresley. Ces crânes sont entreposés depuis 1880 dans les sous-sols du musée de l’homme à Paris.

Ainsi, parmi les 36 crânes détenus de combattants algériens détenus par le musée de Paris, figurent d’importantes personnalités de l’armée algérienne de lors.

Résurgence du débat

Le gouvernement algérien veut que son homologue français rende les crânes des combattants de l’indépendance algérienne. Cet appel a été lancé par le ministre Mujahedeen algérien Tayeb Zitouni dans une interview. « Le travail de la commission algéro-française mise en place pour discuter de ces questions n’est pas encore achevé. L’Algérie n’abandonnera pas ces dossiers revendiqués en France dont celui relatif à la restitution des crânes des martyrs de la résistance populaire », a déclaré M. Zitouni au Middle East Monitor.

Zitouni a révélé que son bureau négocie actuellement avec le ministère français des Affaires étrangères pour le retour des crânes. Il veut que la commission précédemment mandatée pour examiner et surveiller l’affaire soit reconstituée immédiatement. « Les négociations sur ce dossier, suspendues à volonté par les Français, ont été retardées à cause des élections présidentielles françaises », a déclaré le ministre algérien.

Il a réitéré que la France doit admettre les crimes perpétrés contre les Algériens pendant la domination coloniale afin de favoriser de meilleures relations avec l’Algérie.

Beaucoup d’Algériens attendent avec impatience de voir si le nouveau président français Emmanuel Macron, qui a récemment qualifié l’impérialisme français en Algérie de « crime contre l’humanité », rendra les crânes et indemnisera les victimes des essais nucléaires.

Tentatives échouées

En 2011, l’historien Ali Farid Belkadi a lancé une première pétition demandant le retour en Algérie de ces restes humains. En mai 2016, l’universitaire Brahim Senouci a lancé une nouvelle pétition afin que ces dépouilles mortuaires soient remises à l’Algérie.

L’idée de cette dernière pétition est partie d’une seule et unique signature : celle du téméraire Brahim Senouci, écrivain et militant algérien, résidant en France. Le 18 mai 2016, il diffusait sur Change.org un texte pour le moins engagé, appelant à la restitution des crânes des insurgés algériens de Zaâtcha.

Cependant, la situation semble bloquée. En témoigne le courriel du 29 juin 2016 adressé à Brahim Senouci par Michel Guiraud, directeur du musée de l’Homme. Dans ce courrier, Michel Guiraud, indique que son institution muséale était « prête » à examiner « favorablement » la demande de restitution des crânes des Algériens, conservés au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, avertissant néanmoins que « pour leur restitution, il y a un chemin à prendre. Nous reconnaissons le droit de la famille et celui des descendants relayés par leur État », a-t-il dit. Il a par ailleurs souligné que les demandes « doivent passer par le canal diplomatique et non pas par une association qui n’a pas un droit particulier par rapport aux restes humains ».

Relent colonialiste

Le professeur en histoire à l’Université d’Alger 2, Mohamed Lahcen Zeghidi, considère que contrairement à la Tunisie et au Maroc, la France n’a toujours pas soldé son contentieux historique avec l’Algérie, et ce, en raison de « la perception de conquérant » qu’elle continue d’entretenir, de génération en génération. Celui-ci estime, s’agissant de la question des archives, que si la France a consenti, depuis 2012, à ouvrir ses archives et à les mettre à la disposition des Algériens, elle ne le fait que pour les documents « non compromettants » pour elle, à savoir administratifs, diplomatiques, divers rapports, etc.

L’historien est convaincu que l’ancien colonisateur « ne pourra pas remettre de ses propres mains ce qui pourra le condamner, ce qui l’obligera à réécrire l’histoire qu’il a enseignée à ses générations depuis plus d’un demi-siècle laquelle met en relief les valeurs de l’humanité ».

Dans une récente déclaration, des historiens algériens ont également souligné l’importance de la restitution des archives de l’Algérie pour l’écriture de l’histoire et la sauvegarde de la mémoire collective du peuple algérien. Qualifiant cet épisode de « grave préjudice » et de « crime contre l’humanité », le spécialiste insiste sur l’obligation de « reconnaissance » par l’ex-empire colonial des atrocités commises dans ses anciennes colonies, dont l’Algérie.

Ceux-ci déplorent le fait d’exposer ainsi des crânes humains comme s’il s’agissait de « trophées de guerre », renseignant sur des « traditions coloniales » et un esprit esclavagiste visant à montrer que les colonisés sont des personnes « différentes », de même qu’à afficher une certaine « supériorité » du colonisateur.

Jusqu’ici, les divers appels lancés depuis Alger restent sans grand échos à Paris.

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