Economie Rwanda Le modèle Rwandais ne fonctionnerait pas ailleurs [Gand Angle] Posté il y a 15 janvier 2018 12 min de lecture Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur Google+ Partager sur Linkedin En Afrique, ce qu’on pourrait appeler par « l’éveil Rwandais » est d’une exception salutaire. Sorti des méandres d’un génocide difficile à oublier, le président Paul Kagame a ressuscité l’économie, réduit la corruption et maintenu la stabilité politique. Un système conçu uniquement par et pour le Rwanda. C’est un record dont beaucoup d’autres dirigeants ne peuvent que rêver, et qui a conduit le Rwanda à être cité comme une réussite économique que le reste du continent ferait bien de suivre. Dans des pays comme le Kenya et le Zimbabwe, certains ont soutenu que leurs dirigeants devraient fonctionner plus comme Kagamé. En d’autres termes, la création d’emplois et la réduction de la pauvreté priment sur des élections libres et équitables, voire l’alternance. En réponse, les critiques ont cherché à pourfendre l’image de Kagamé, en soulignant les violations des Droits de l’Homme commises sous son égide. Mais la notion selon laquelle le modèle rwandais devrait être exporté souffre également d’une faille plus fondamentale : elle ne fonctionnerait presque pas ailleurs, car les conditions nécessaires ne s’appliquent pas. Le parangon rwandais Un grand nombre des réalisations de Kagamé et de son parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais, impressionnent en Afrique et au-delà. Puisqu’il faut le rappeler, le président Paul Kagamé a en charge une nation profondément divisée, réduite à un besoin pressant et désespéré de la reconstruction économique et politique après 1994. Depuis lors, Kagamé a établi le contrôle personnel ferme sur la politique rwandaise, en générant la stabilité politique nécessaire pour le renouvellement économique. En effet, Kagamé n’est pas resté assis pour espérer que les investisseurs étrangers inspirent la croissance. Plutôt, la nouvelle administration qu’il a fondée est intervenue directement dans un processus de développement conçu et dirigé par l’État. Plus particulièrement, son gouvernement a lancé l’activité économique dans des secteurs qui avaient stagné auparavant, en investissant massivement dans des secteurs clés. Combinées à une gestion circonspecte de l’agriculture, ces politiques ont généré une croissance économique d’environ 8 % entre 2001 et 2013. En conséquence, le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 57 % en 2005 à 45 % en 2010. D’autres indicateurs du développement humain, tels que l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation se sont également améliorés. Un exemple pour l’Afrique ? Malgré les chiffres impressionnants, le modèle rwandais essuie des critiques de la part de nombre d’observateurs politiques dans la région. De toute évidence, c’est un modèle qui sacrifie les droits humains fondamentaux, tels que la liberté d’expression et la liberté d’association, pour soutenir l’hégémonie politique du parti au pouvoir. De fait, le système rwandais implique une compromission de la démocratie au dam du développement. S’il est vrai que cette décision paraît aisée pour le pouvoir politique rwandais, elle est toutefois souvent rejetée par l’opposition. Moins évident, le recours aux entreprises détenues par les partis pour relancer l’activité économique place le parti au pouvoir au cœur de l’économie rwandaise. Autrement, lorsque l’économie se porte bien, le Front patriotique rwandais, déjà dominant, est renforcé. Une approche qui permet à Kagame de déterminer qui est autorisé à accumuler le pouvoir économique, tout en portant atteinte aussi à la capacité des leaders de l’opposition et des critiques de lever des fonds. La magie Kagamé L’un des efforts les plus rigoureux pour comprendre les conditions politiques qui ont rendu possible le modèle rwandais a émergé du projet de recherche African Power and Politics mené par David Booth, Tim Kelsall et d’autres. Ceux-ci soutiennent que le gouvernement de Kagamé est un exemple de « patrimonialisme développemental ». En effet, dans ce système, les aspects potentiellement dommageables de la politique patrimoniale sont tenus en échec par un dirigeant qui jouit d’un contrôle étroit sur les réseaux de favoritisme. Selon les analyses du professeur Nic Cheeseman, spécialiste de la démocratie et enseignant à l’Université de Birmingham, « une telle autorité doit être établie à l’interne et à l’externe. Un contrôle politique externe est nécessaire, car la menace d’une défaite électorale de la part d’un puissant parti d’opposition pourrait forcer le gouvernement à donner la priorité à la survie à court terme plutôt qu’aux investissements à long terme. Le contrôle interne est nécessaire parce que l’absence de freins et contrepoids sur le parti au pouvoir est susceptible d’exacerber la corruption. Lorsque ces conditions sont réunies, les éléments du patrimonialisme peuvent être économiquement productifs en générant des ressources qui sont réinjectées dans le système. » Ainsi, dans le cas rwandais, la domination économique et politique du Front patriotique rwandais n’a pas compromis le développement. Car, les fonds générés par les entreprises détenues par les partis ont souvent été réinvestis dans l’économie. « N’essayez pas ça chez vous » Le problème est que ces conditions ne tiennent pas dans la plupart des États africains. À quelques exceptions près, comme le Tchad et l’Angola, le parti au pouvoir ne peut pas aspirer au niveau de domination constatée au Rwanda, l’opposition étant assez dynamique et forte pour que ce contrôle politique soit maintenu. Au Kenya et au Zimbabwe, par exemple, l’opposition a toujours remporté une part importante du vote législatif et présidentiel. En outre, même certains États qui comptent des partis au pouvoir plus dominants n’ont jamais réussi à imposer une discipline économique à leurs gouvernements. Au lieu de cela, le clientélisme enraciné et le factionnalisme interne ont généralement miné les efforts de lutte contre la corruption. Ce qui nuit aux efforts visant à réduire la pauvreté et à stimuler la croissance économique. Dépouillée du contrôle politique interne et externe nécessaire pour que cela fonctionne, l’application du modèle rwandais ailleurs produirait à en croire plusieurs experts, sans doute des résultats très différents. Car, en effet, l’extension du contrôle du parti au pouvoir sur l’économie a plus de chances d’accroître la corruption et autres fléaux que de stimuler l’activité économique. Et les efforts visant à neutraliser les partis d’opposition sont susceptibles d’être fortement résistés, conduisant à l’instabilité politique et à l’incertitude économique. En clair, il y a de fortes chances de faire l’expérience de tous ses coûts tout en ne réalisant que peu de ses avantages.