Accueil Afrique central Hervé Renard, cet apprenti qui a volé les amulettes de Claude Le Roy

Hervé Renard, cet apprenti qui a volé les amulettes de Claude Le Roy

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Quand en ce samedi 11 novembre 2017, Hervé Renard qualifiait le Maroc pour la coupe du monde Russie 2018, il réalisait un exploit que bon nombre d’autres sélectionneurs n’ont pas pu faire en Afrique.

« Personnellement j’aimerais affronter la France. J’aimerais être dans le groupe de la France ». C’est en ces mots que Hervé Renard s’enflait, quand il a réussi ce que beaucoup appellent par une grande victoire en battant les Éléphants de la Côte d’Ivoire chez elle par 2 buts à 0. Le lendemain, Claude Le Roy a dû se fier à son chapelet pour une mission qu’on voit au Togo, comme suicidaire : battre les Dodos de l’Ile Maurice, 158e du classement mondial de la FIFA. S’il est vrai que le match était sans enjeu, à plus forte raison avec une formation au demeurant docile, Claude, Le Roy avait un défi, et nombre de Togolais l’attendaient à ce tournant.

Hervé Renard, le nouveau sorcier

Depuis que Hervé Renard s’est séparé de son mentor, celui semble chiper à son père spirituel, celui qui était toujours considéré comme le « sorcier blanc », ses meilleurs gris-gris.

Dans la presse marocaine au lendemain de la qualification du Maroc, les mots pour affubler le renard du football africain ne sont pas rares. « Génie », « sorcier », « l’imbattable », « magicien »… Dans le royaume chérifien, il est adulé. Et si nul ne sait les mots que le roi Mohammed lui a glissés au téléphone à quelques minutes après le coup de sifflet final du match contre la Côte d’Ivoire, on sait au Maroc, combien le roi tient à cette participation du Maroc à la coupe du monde, et pourquoi il compte sur Hervé Renard.

Mais il faut se le rappeler : Hervé Renard mettant tout un pays africain en liesse est une situation qui revient à intervalles réguliers. Depuis qu’il s’est senti prêt à poursuivre son chemin en quittant Claude Le Roy, chaque aventure de cet entraîneur à la tête d’une équipe de ce continent semble être jalonnée de succès. Hervé Renard en Zambie : la sélection nationale gagne la CAN en 2012 pour la première fois de son histoire. Hervé Renard en Côte d’Ivoire : l’une des meilleures générations des Éléphants, jusque-là en disette, remporte enfin ce même titre continental en 2015 avec lui sur le banc. Deux exploits le conduisant à être le seul coach à avoir brandi le trophée avec deux nations différentes. Hervé Renard a bâti en l’Afrique, un vrai empire et y installe une suprématie sans concurrence. L’homme tisse au fil des temps les cordes qui le mènent vers son propre succès. Tout ce qu’il touche devient de l’or.

Après un passage non réussi en Ligue 1 français en tentant sa chance avec Lille, les défaites cumulées au bout d’une dizaine de journées de la saison 2015-2016 lui a valu un licenciement. On pouvait alors penser que le cercle vertueux Hervé Renard allait se rompre, que l’intéressé retomberait un peu de son piédestal pour rejoindre la grande famille des entraîneurs oubliés après une entame de carrière tonitruante. Il a plutôt préféré sortir un troisième album — Hervé Renard au Maroc — dans lequel les Lions de l’Atlas se qualifient pour la Coupe du monde, une première depuis 1998, en s’extirpant d’un groupe composé du Mali et de la Côte d’Ivoire.

Pendant ce temps, rongé par l’âge et confronté à un cas particulier comme celui du Togo, Claude le Roy continu, l’air parfois indifférent, d’essuyer des critiques et des remontrances des Togolais. Lui prophète ou sorcier ailleurs, comptabilise un bilan médiocre depuis sa venue au Togo sur invitation personnelle du président togolais en avril 2016.

Au point où le Mouvement Martin Luther King commence par réclamer sa tête, au regard du salaire spécial qu’on lui fait, forte d’une bagatelle de 25 millions de FCFA, meilleure offre dont on peut rêver en tant que sélectionneur du Togo. Toutefois, il faut aussi souligner qu’à la tête de la sélection togolaise, Le Roy n’a pas encore échoué. La mission qui lui avait été confiée quand il arrivait au Togo est de faire participer le pays à la CAN 2019. Sur ce terrain, l’homme a devant lui des occasions pour se racheter.

Mais comparé à Renard, le Roy, recordman de participation à la Coupe d’Afrique des nations (9 participations au total), c’est seulement une fois champion d’Afrique en 1988, avec le Cameroun après trois décennies passées à fureter le continent. Le Sénégal, la République Démocratique du Congo, le Ghana et le Congo Brazzaville ont tous profité de l’âge de 68 ans du sorcier blanc. Renard, c’est en 2008 qu’il s’est séparé de son mentor. Lorsque Le Roy entraînait 2008 les Black Stars du Ghana et était médaillé de bronze en Afrique, son assistant Renard était encore inconnu.

Secret de parrain

Le Roy peut envier à Renard ce qu’il n’a jamais pu réussir sur le continent africain.

Dans le magazine So Foot, Claude Le Roy, l’homme qui a lancé Renard dans le métier en le prenant comme adjoint au début des années 2000 disait : « Lorsque j’ai emmené Hervé avec moi à Shanghai en 2001, alors que je recherchais un staff, je lui ai dit que l’une des conditions à la réussite du job d’entraîneur en Asie ou en Afrique n’avait rien à voir avec le foot de chez nous. Si vous n’êtes pas au fait de la culture locale, de la géopolitique, de l’histoire ou que vous ne maîtrisez pas leur langue, ça ne le fera pas. Il ne suffit pas d’être bon sur le terrain. Si vous allez au Congo et que vous ne connaissez rien de Patrice Lumumba ou de la sécession du Katanga, si vous allez au Cameroun et êtes étrangers à l’UPC ou aux pluies acides de l’armée française durant la quête de l’indépendance, si vous allez à Shanghai et n’êtes pas au fait des relations sino-japonaises, vous n’y arriverez pas. » Le conseil semble être écouté.

Âgée aujourd’hui de 49 ans, la méthode Hervé Renard semble marcher quasiment à chaque fois sur le sol africain, mais ne présente rien de surnaturel. Il use des recettes communes, presque standards : jeu défensif, construction d’un esprit commando pour juguler la pression, et beaucoup de pragmatisme. Hervé Renard n’a rien de dogmatique. Ses idées tactiques ne révolutionneront pas le football. Il n’a pas à réinventer le foot, et il le sait.

Mais l’Afrique paraît privilégier les pragmatiques, ceux qui font passer les contextes avant leurs idées. Pour vaincre la Côte d’Ivoire samedi soir sur son propre terrain à Abidjan, il a fallu prendre la dimension du côté traquenard de ce match. Il ne s’agissait pas d’une partie d’échecs cérébrale contre son homologue Marc Wilmots. Il a fallu mobiliser ses troupes pour un combat où chaque duel sur le terrain se devait d’être gagné par les joueurs marocains pour assurer le triomphe final. Avec les Lions de l’Atlas, Hervé Renard a des limites tactiques. Le Maroc n’est pas aussi garni que la Côte d’Ivoire qu’il a eu à coacher juste quelque année en arrière. Avec le Maroc, Renard a eu l’intelligence de miser sur la motivation de ses hommes. Si son équipe n’a encaissé aucun but lors de ces éliminatoires, ce n’est pas un hasard : l’abnégation défensive, au détriment de la technique, est l’une des clefs de voûte de la méthode Renard.

Ce pragmatisme, c’est ce qui achève de convaincre que Hervé Renard a beau faire des miracles en Afrique, la coupe du monde reste un défi hors de portée des gris-gris. Renard n’attend pas aujourd’hui remporter une coupe du monde pour prouver son hégémonie, même si l’homme est constamment attiré par des défis à la limite fous. C’est clair, le Maroc à la coupe du monde, ce sera une mission suicide.

Du reste, Renard est conscient qu’il a dépourvu son mentor de son auréole de sorcier en seulement moins d’une décennie. Mais il ne tarit pas d’éloges envers celui-ci : « Il m’a tellement donné dans ma vie. Pas seulement sur le football, mais aussi sur la façon d’évoluer en tant qu’homme », a déclaré Renard quand il se préparait à défier pour la première fois son maître en phase de groupe à la CAN 2017. Le Roy a été aussi tout à fait élogieux à propos de l’homme qu’il a encadré et qui est devenu l’autocar le plus recherché en Afrique, son filleul. « Herve sait diriger un groupe et aime ses joueurs », a-t-il déclaré, sans humeur. Pour ce match-là, Renard s’était sans surprise imposé. Le Maroc a battu le Togo 3-1. Une ultime preuve qui avait déjà achevé de convaincre que Renard a volé les amulettes du Roy. Cela va de soi.

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