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Crise au Cameroun: au-delà de la fracture linguistique, l’économie

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Au Cameroun, l’escalade de la crise politique dans les provinces anglophones de l’ouest du pays risque de faire dérailler l’économie du pays, considérée comme l’une des plus dynamiques de l’Afrique subsaharienne.

La crise prolongée dans les régions anglophones du Cameroun, qui a largement impacté les écoles et les tribunaux dans les zones touchées depuis novembre 2016 et menaçant de basculer dans un conflit à grande échelle, semble n’avoir aucune fin en vue. Au cours des dernières semaines, il y a eu des affrontements meurtriers entre les forces gouvernementales et les manifestants locaux. Des arrestations massives dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont également été enregistrées, laissant les centres de détention submergés par les détenus.

Depuis, le gouvernement et les activistes ont appelé au dialogue pour résoudre la crise. Mais aucune des deux parties n’a pris les mesures nécessaires pour en lancer une. En effet, cette crise qui a éclaté l’année dernière à la suite des grèves industrielles des avocats et des enseignants contre l’imposition de la langue française dans les cours et les écoles anglaises trouve son origine dans l’histoire coloniale du pays.

Mais en réalité, la grève des militants, qui s’est vite transformée en un soulèvement populaire, va bien au-delà de la fracture linguistique. D’une part, la division des langues coloniales coupe les groupes ethniques.

Les anglophones qui représentent 20 % des 23 millions d’habitants du Cameroun se sont sentis marginalisés au fil du temps par le gouvernement majoritairement francophone dans les domaines socioculturel, politique et économique. Les dernières manifestations de masse ont simplement été une manifestation de la frustration découlant de la privation à long terme ainsi que de la discrimination réelle et perçue.

Inégalités

Il existe une disparité économique significative en ce qui concerne l’attribution de projets d’investissement par l’État aux deux régions anglophones, par rapport aux huit autres régions francophones.

Dans le budget d’investissement public du Cameroun pour 2017, la région d’origine du président Paul Biya, dans le Sud, s’est vue allouer bien plus de ressources que les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest réunies. En passant par le journal de bord du projet gouvernemental du pays pour l’année, la région du Sud a bénéficié de plus de 570 projets pour un montant total de plus de 225 millions de dollars. Pour sa part, la région Nord-Ouest ne comptait pas plus de 500 projets à plus de 76 millions de dollars, alors que la région Sud-Ouest avait un peu plus de 77 millions pour plus de 500 projets.

Autre chose, les projets alloués aux régions anglophones pour 2017 accordent peu d’attention aux domaines cruciaux tels que la construction et la réhabilitation des routes qui constitue une préoccupation majeure dans cette partie du pays. Pour replacer cela dans le contexte de la taille de la population, selon le recensement de 2008, la région du Sud comptait environ 761 000 personnes, tandis que le Sud-Ouest en comptait 1,4 million et le Nord-Ouest 1,7 million.

Sur le plan politique, peu d’anglophones occupent des postes ministériels et d’autres postes clés dans le gouvernement pléthorique de Biya. Premier ministre du pays, le chef du gouvernement, Philemon Yang (un anglophone) occupe une quatrième place insignifiante dans le protocole d’État, après le chef de l’État, président du sénat et président de l’Assemblée nationale (tous les francophones).

Impact économique

La crise de longue date menace de faire encore plus de dégâts à l’économie déjà malmenée du Cameroun. L’approche musclée du gouvernement n’a que probablement exacerbé cet impact. La poursuite de la violence politique est susceptible de porter un effet de ralentissement de l’économie camerounaise. Selon les analystes, le PIB réel a reculé de 1,3 % en termes trimestriels, après avoir progressé en moyenne de 5,3 % en 2012-2016. La contraction de la demande intérieure, entraînée par une baisse des dépenses publiques et un prélèvement sur les stocks, a été responsable du ralentissement du premier trimestre, qui n’a été que partiellement compensé par une contribution accrue du commerce net.

Selon Mark Bohlund, économiste spécialiste de l’Afrique et du Moyen-Orient, en regardant les courbes dans l’industrie, le secteur des services s’est contracté de 1,3 %, abaissant le PIB de 0,7 point de pourcentage. Cela indique un impact étonnamment limité d’une fermeture d’Internet dans les régions anglophones de la mi-janvier à avril. Avec la détérioration de la crise, les risques pour la croissance du secteur des services sont sans doute à la baisse. Un ralentissement soutenu rendrait probablement la réduction prévue du déficit budgétaire à 3,4 % du PIB plus difficile. Le déficit a atteint environ 6,5 % l’année dernière. Mais les chiffres du PIB pour le premier trimestre indiquent que ces mesures fiscales ont peut-être été pré-alimentées.

Un ralentissement économique aurait également des répercussions régionales. Le Cameroun est la plaque tournante de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, mieux connue sous son sigle français CEMAC, qui comprend également la République centrafricaine, le Tchad, la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo. Le Cameroun et la République centrafricaine sont les seuls pays de la CEMAC qui ne dépendent pas fortement de la production de pétrole pour leurs exportations et leurs recettes publiques. En conséquence, le Cameroun s’en sort nettement mieux que ses voisins, où la croissance s’est fortement ralentie depuis l’effondrement des cours du pétrole fin 2014. L’absence d’ajustement monétaire, liée à l’arrimage régional du franc CFA par rapport à l’euro, a vu tous les pays de la CEMAC sauf au Cameroun, les limites de prêt ont été atteintes avec la banque centrale régionale.

A en croire Mark Bohlund, une baisse de l’économie camerounaise contribuerait également à réduire les réserves de change et exercerait une pression sur le régime de change. Une quantité et une qualité de données économiques plus élevées devraient rendre la région plus attrayante pour les investisseurs en offrant une plus grande transparence, qui à son tour permettra une meilleure évaluation de la valeur des actifs. La crise anglophone n’affecterait économiquement pas le Cameroun seul.

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