Accueil Afrique de l'ouest Côte d’Ivoire: le business rentable des femmes pleureuses [Reportage]

Côte d’Ivoire: le business rentable des femmes pleureuses [Reportage]

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Au Ghana ou en Côte d’Ivoire, il est possible de louer des femmes pour pleurer un être cher disparu. Rencontre avec des pleureuses qui évoquent leur métier.

La pratique peut paraître bizarre. Elle est pourtant développée dans quelques pays de la sous-région ouest-africaine. Comme en Côte d’Ivoire où des femmes en font leur métier. Des pleureuses professionnelles rencontrées au centre du pays ne cachent pas leur pratique. Ces dernières peuvent même se livrer à des démonstrations pour convaincre de potentiels clients. « C’est mon métier. Je le fais parce que j’aime le faire », affirme l’une d’entre elles. Comment cela se passe-t-il ? Pour s’attacher leur service, une famille endeuillée peut directement prendre contact avec elles ou passer par leur manager. « On nous parle du défunt. Et nous savons après comment le pleurer », confie Delphine, 40 ans, pleureuse professionnelle depuis quinze ans.  Avec quatre prestations certains mois, elle peut se retrouver avec près de 500000 FCFA. Ce qui lui permet de payer son loyer et de s’occuper de ses enfants. Il faut dire que depuis le décès de son mari en 2010, Delphine ne vit que de son métier.

A l’est de l’autre côté de la frontière, Doris, une de ses connaissances est également pleureuse. Dans ce pays où les enterrements sont très bien organisés et rythment parfois à des moments festifs, enterrer un mort avec la présence des pleureuses est entré dans les réflexes. Cette Ghanéenne excelle aussi dans son métier. Elle peut ainsi parcourir en un mois près de 1000 kilomètres, sillonnant les régions du pays, et pleurant aux funérailles auxquelles elle est invitée. « Chaque week-end je suis dans une localité pour faire mon travail. C’est parfois fatigant, mais j’aime faire ça », rappelle Doris. Avec ses amies, elles peuvent par prestation toucher jusqu’à 300000 FCFA avec d’autres avantages. On leur prépare à manger et elles sont parfois logées. Pour Doris qui est également commerçante, il s’agit de perpétuer une pratique familiale. « Ma maman était pleureuse professionnelle ».

Pleurer comme il faut

Dans l’autre bout de son quartier situé à la périphérie de la capitale, Doris voit son métier s’éteindre. Certaines de ses amies ont en effet choisi de raccrocher, de ne plus exercer le métier. Incapable de supporter les critiques et les interrogations au bout de quelques années. Certaines familles préférant aussi d’abandonner les grandes cérémonies funéraires pour des enterrements plus simples. Malgré sa longévité, la pratique n’est pas toujours considérée par certains comme un « métier normal ». « Il faut respecter les morts. On ne peut pas faire du faux avec eux », explique Enock qui s’est opposé, malgré son jeune âge, à la décision de sa famille d’engager des pleureuses après le décès de sa mère. « Je ne conçois pas qu’on puisse simuler. Elles n’avaient jamais connu ma mère. Elles ne peuvent pas la pleurer », ajoute-t-il. Avant de lâcher : « C’est devenu un jeu pour elles ».

Ce n’est pourtant pas ce qu’estime Kwesi Adams. Pour ce sociologue qui s’intéresse depuis dix ans à la pratique, il est important de comprendre ce que c’est que pleurer un mort. « Les familles ne décident pas au hasard de faire appel aux pleureuses », justifie-t-il. Le chercheur explique que certains morts ont besoin d’être pleurés « comme le font ces femmes ». Selon lui, les chants, les pleurs sont destinés à vanter le défunt. Ce qui permet au disparu de « bien se reposer ». La pratique n’est pas constatée dans certains pays de la sous-région. Mais il n’est pas exclu qu’elle s’exporte et se généralise. Elle devra dans ce cas faire face à des obstacles avant de « définitivement s’installer ». Les pleureuses pour alors se faire remarquer.

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