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Françafrique: les leçons d’Akufo-Addo à Emmanuel Macron

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Lors de sa toute première tournée en Afrique, Macron a fait au dernier jour, une escale à Accra, dans la capitale ghanéenne, une première pour un chef d’État français. Mais le sol ghanéen n’a pas tout à fait été hospitalier pour le Français. À Accra, le chef de l’État ghanéen a dit tout haut ce que ses homologues francophones pensent tout bas.

À Accra, Macron ne s’est sans doute pas senti comme dans les capitales francophones, notamment à Ouagadougou. Dans la capitale ghanéenne, le président a été accueilli comme un inconnu, comparé aux honneurs qui sont souvent réservés aux premières autorités françaises en visite en Afrique. Arrivée en provenance de la Côte d’Ivoire, l’hôte du Président ghanéen a tout de même eu l’occasion de faire la connaissance de certains lieux historiques tels que la place de l’indépendance.

Il faut préciser, le passage de Macron à Accra a été dans la presse ghanéenne, presque un non-évènement, même si les médias étrangers insistent sur le caractère particulier de la visite, en mettant en avant le fait que ce soit la première visite d’un Président français dans ce pays anglophone.

Macron et Akufo-Addo ont abordé plusieurs sujets, principalement sur l’économie et la démocratie. En matière des Droits de l’homme, le président Akufo-Ado a assuré son soutien à la France pour sa promotion sur le continent.

De son côté, Macron a salué le leadership de son hôte.

Ghana, mission échouée

Au Ghana où Macron était à une mission de séduction, les yeux doux du premier responsable français n’ont pas flatté. Le président Akufo-Addo s’est exprimé devant le président Macron avec une légèreté et une aisance que les adeptes de la rupture franco-africaine reprochent souvent aux dirigeants francophones.


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Si le président Addo est connu pour sa francophilie, il n’a pas hésité à dire au président français des vérités dont, selon certains observateurs, seul un Anglophone pouvait avoir le courage de faire sortir. Du reste, Addo savait glissant le terrain sur lequel il s’aventurait, même si à l’évidence, le Ghana n’attend rien (ou presque) de la France.

Cette indépendance de gouvernance propre aux anglophones leur est a été d’une grande utilité pour la démocratie. À cet effet, le Chef d’État ghanéen a prévenu son auditoire d’entrée. « J’espère que le commentaire que je m’apprête à faire au sujet de ce problème ne va offenser personne dans cette salle », a-t-il dit, à côté d’Emmanuel Macron. Avant de lâcher sans demi-mot, « nous ne pouvons plus continuer à mener, dans nos pays, dans nos régions une politique sur la base de l’aide de occidentaux, de l’Europe, de l’Union européenne ou la France. Cela n’a pas marché, ça ne marche pas et ça ne marchera pas. Il est de notre responsabilité de trouver des moyens pour développer nos nations par nous-mêmes. »


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Le Ghanéen s’est tout autant montré favorable à une amitié avec la France, en précisant que malgré tout, l’Afrique ne rejettera pas les apports de l’État français, à travers son gouvernement.

En ce qui concerne le volet économique, le Président ghanéen a été un peut plus clair devant Macron, pourtant venu séduire un pays qui a actuellement l’une des meilleures croissances économiques sur le continent. Il a signifié à son hôte que le Ghana compte abandonner la vieille méthode économique, caractérisée par une dépendance de la production et de l’exportation des matières premières. Il a souligné que son pays veut « construire une économie industrialisée à valeur ajoutée avec une modernisation de l’agriculture, qui n’est ni victime ni pion de l’ordre économique mondial », alors qu’on le sait, Macron est, au rang international, le nouvel apôtre de la mondialisation.

Tout autant qu’il a tenu à situer les responsabilités, Akufo Addo a reconnu aussi le rôle des États africains dans le phénomène migratoire. Il a ainsi déclaré que les jeunes qui quittent l’Afrique le font parce que leur pays ne leur donne aucun espoir. Dans cette perspective, le numéro 1 ghanéen a encore taclé la France, en demandant à ses pairs africains de ne pas demander ce que l’ancienne métropole fera pour le continent. « La France peut faire ce qu’elle veut de son propre gré et si cela coïncide avec nos intérêts, “tant mieux” comme on dira en Français », a-t-il ironisé.

Pour ne rien lâcher, il continue en affirmant : « notre préoccupation devrait consister à nous demander ce que nous devons faire pour éviter que l’Afrique continue à mendier de l’aide et à demander l’aumône dans ce 21e siècle. » seule condition, selon celui-ci, de parler d’une indépendance « réelle et effective ». « Nous voulons construire le Ghana sans recours aux aides. Un Ghana qui est indépendant, un Ghana qui se suffit qui vole de ses propres ailes », a-t-il finalement lancé envers le Français, non sans ovation de l’assistance.

Ci-dessous l’intégralité du discours du président ghanéen Akufo-Addo


J’espère que le commentaire que je m’apprête à faire au sujet de ce problème ne va offenser personne dans cette salle. Nous ne pouvons plus continuer à mener, dans nos pays, dans nos régions une politique sur la base de l’aide des Occidentaux, de l’Europe, de l’Union européenne ou la France. Cela n’a pas marché, ça ne marche pas et ça ne marchera pas ! 

Il est de notre responsabilité de trouver des moyens pour développer nos nations par nous-mêmes. Ce n’est pas juste qu’un pays comme le Ghana, 60 ans après son indépendance continue à définir son budget de l’éducation et de la santé sur la base des financements provenant du contribuable européen. Au stade où nous sommes, nous devions être capables de financer nous-mêmes nous besoins de base.

Nous allons considérer les 60 années à venir comme une période de transition où nous pourrons être capables de voler de nos propres ailes. Notre objectif n’est plus de compter sur ce que le contribuable français pourra nous donner. Nous accepterons cependant tout apport que le contribuable français pourra nous apporter à travers son gouvernement. Nous n’allons pas tout simplement tourner le dos à tout apport de l’autre.

Cependant, malgré tout ce qu’il a subi, ce continent reste celui qui détient 30 % de toutes les ressources naturelles les plus importantes du monde. C’est le continent qui a de vastes terres fertiles et la plus grande population jeune, qui constitue une Énergie et le dynamisme dont ce continent a besoin. Regardez ces jeunes qui font preuve d’ingéniosité pour traverser le Sahara et la méditerranée.

Nous avons besoin de cette Énergie et de cette ingéniosité sur notre continent. Et cette énergie-là, nous l’aurons ici sur notre continent si nous implémentons des systèmes politiques qui montrent à ces jeunes qu’ils sont l’espoir, qu’il y a des opportunités ici en Afrique. Les phénomènes de migration ne sont pas nouveaux, c’est aussi vieux que l’humanité et s’expliquent par le le fait que les gens qui quittent le chez eux le font parce que leur pays ne leur donne aucun espoir.

Ceux d’entre vous qui connaissent l’histoire de l’Europe au 19e siècle savent que les grandes vagues d’immigration en Europe au 19e siècle partaient de l’Italie et de l’Irlande. Des vagues et des vagues d’Italiens et d’irlandais ont migré aux USA à la recherche du rêve américain parce qu’il n’y avait pas d’opportunité de travail en Irlande et en Italie. Aujourd’hui, vous n’entendez plus parler de cette immigration-là. Les jeunes Italiens et Irlandais restent chez eux. Nous voulons que les jeunes Africains restent aussi en Afrique (applaudissements). Pour cela, nous devons refuser cet état d’esprit d’assisté.

Cet état d’esprit qui consiste à demander ce que la France ferra pour nous (La France peut faire ce qu’elle veut de son propre gré et si cela coïncide avec nos intérêts, » tant mieux » comme on dira en Français) Mais notre principale responsabilité en tant que leader et en en tant que citoyen c’est de développer nos propres pays, de mettre sur pied des systèmes de gouvernance qui font des leaders des personnes responsables de leurs actes et qui utilisent les moyens mis à leur disposition pour le bien du peuple et non pour leurs propres intérêts.

Notre préoccupation devrait consister à nous demander ce que nous devons faire pour éviter que l’Afrique continue à mendier de l’aide et à demander l’aumône dans ce 21e siècle. Quand tu regardes l’Afrique et considérant ses ressources, C’est l’Afrique qui devrait donner de l’argent à d’autres pays (Macron mal à l’aise secoue la tête et se dissimule) Nous avons des ressources énormes sur ce continent.

Nous devons avoir l’état d’esprit du gagnant, nous dire que si les autres ont réussi, alors nous aussi nous pouvons réussir et une fois que nous aurons cet état d’esprit. Nous nous demanderons chaque fois que comment se fait-il que la Corée Singapour, la Malaisie qui ont, eu leur indépendance au même moment que nous, sont au sommet du classement des pays les plus riches du monde ? On nous a appris qu’à l’époque des indépendances le revenu au Ghana était supérieur à celui de Corée. Que s’est-il passé pour que ces pays réussissent cette transition 60 ans après quand nous sommes où nous sommes (à quémander).

Sans vouloir offenser le président français, car je suis francophile et je n’ai aucun problème avec la coopération française, mais notre défi majeur, notre part de responsabilité devrait être de créer les conditions nécessaires afin que nos jeunes cessent de braver tous ces dangers pour aller en Europe. Ils n’y vont pas parce qu’ils veulent, mais parce qu’ils ne pensent pas qu’il y a des opportunités dans nos propres pays.

Ces conditions, nous pouvons les créer si nous changeons cette mentalité de personnes qui dépendent des autres, cette mentalité d’assisté. Et si nous y parvenons, nous verrons que dans une décennie l’Afrique émergera et on aura une nouvelle génération d’Africain et en ce moment, les indépendances dont on a parlé pendant la période dite d’indépendance deviendront réelles et effectives.

J’espère qu’en disant cela, je n’offense pas l’intervieweur ou certains de mes amis dans l’assistance. Ceci est ce à quoi je crois fermement. C’est pourquoi le slogan de mandat est : nous voulons construire le Ghana sans recours aux aides. Un Ghana qui est indépendant, un Ghana qui se suffit qui vole de ses propres ailes. Monsieur le president, voilà contribution que je peux apporter.


 

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