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RDC: qui est Denis Mukwege, le médecin qui a ‘réparé’ 50.000 femmes

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Société, santé, politique celui qui est considéré au Congo comme le « réparateur des femmes » est un héros rare sur un continent hérissé d’injustices. Toujours menacé dans son pays, le docteur Denis Mukwege a reçu de multiples récompenses (prix Olof Palme et prix des Droits de l’homme des Nations Unies [ONU] en 2008, prix Sakharov en 2014) et son nom est régulièrement proposé pour le prix Nobel de la paix.

Dans son Congo natal, il est très célèbre, surtout auprès des femmes. C’est celui qui essaie tant qu’il le peut, de redonner lueur d’espoir aux victimes « abimées » par le viol. À Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), plus de 50 000 femmes violées ont été soignées par lui depuis 1999. Dans ce pays où cette pratique est une arme de guerre et très répandue, le docteur Denis Mukwege est un symbole vivant pour les femmes ayant été des cibles de ce fléau. Ces quinze dernières années, on estime qu’un demi-million de femmes ont été violées en RDC.

Inlassablement, Denis Mukwege, gynécologue, soigne, opère, répare. Des femmes violées et souvent aussi mutilées. Un travail à la mesure de l’horreur à laquelle il est confronté au quotidien. Denis Mukwege sait aussi, bien malgré lui, identifier cliniquement les auteurs de ces violences. Les bandes armées, miliciens ou soldats réguliers, qui ravagent cette région de l’est du Congo et qui rivalisent de cruauté.

Des bourreaux qui laissent, dans la chair et le ventre des femmes suppliciées, la signature de leur torture. À coup de machettes, de pieux ou d’armes à feu. Depuis, ce médecin a un hymne : « Parce que le viol détruit tout autant, même s’il laisse les personnes en vie. Parce que c’est un déni d’humanité, un recul des acquis de la civilisation. Et parce qu’il faut tracer une ligne rouge absolue. »

En octobre 1996, alors qu’il est médecin-chef à l’hôpital de Lemera, au Sud-Kivu. Des bandes armées venues du Rwanda voisin sèment la terreur dans la région. Le gynécologue part accompagner un expatrié occidental qui doit être évacué pour des raisons sanitaires. Leur convoi échappe de peu à une attaque. Le lendemain, son hôpital est pris d’assaut, les patients et le personnel massacrés.

Ces victimes hantent encore Mukwege. « Ici, l’horreur se répète de génération en génération. » dit-il. Denis Mukwege s’est emparé de sa colère sourde de chirurgien pour la porter par-delà les frontières de son pays. Porter son indignation aux grands de ce monde : ONU, Parlement européen, France. Le docteur a saisi toutes les tribunes qui lui ont été offertes.

« Si je n’étais pas gynécologue-obstétricien et n’avais donc un accès privilégié aux femmes qui me parlent en confiance et peuvent me montrer leurs blessures. C’est à ce titre que j’ai vu et entendu des choses qui dépassent l’entendement. Des souffrances inouïes causées par des viols massifs et organisés, des lésions corporelles souvent irréparables, des traumatismes profonds transmis aux enfants, toutes sortes d’abjections, » raconte-t-il souvent.

« Mon père priera et moi je soignerai »

Cette vocation d’aider son prochain, cette philanthropie, c’est de son père, pasteur, que Denis Mukwege, né à Bukavu en 1955, l’a héritée. « Quand il partait à la rencontre des malades, quand il prêchait en tant que pasteur, je l’accompagnais, car j’aimais le voir en action », explique le chirurgien dans Panzi, livre sorti en juin 2014. Dans ce livre, il raconte notamment ce jour où son père fut appelé au chevet d’un bébé mourant. Impuissant, le pasteur ne pût qu’offrir ses prières à la famille et à l’enfant tandis que son fils pensait : « Il faut que je sois médecin, ainsi mon père priera et moi je soignerai ». Sa vocation était née. Denis Mukwege avait alors huit ans.

Après des études de médecine au Burundi, à Bujumbura, à partir de 1978, un premier poste à l’hôpital de Lemera, en RDC, il débarque en France, à Angers, pour se spécialiser en gynécologie. Il y apprendra une technique révolutionnaire à l’époque, la laparoscopie, modèle de chirurgie peu invasive qui se révélera précieuse, avec l’aide du spécialiste belge Guy-Bernard Cadière, dans le traitement des lésions chez ses patientes de Panzi.

Il quitte Angers pour la RDC en 1989. Suivent des années de guerre, les conséquences du génocide au Rwanda, les conséquences au Kivu puis la fondation de sa clinique, avec l’aide d’associations suédoises et britanniques et de l’Union européenne. Quelques habitations en pisé d’abord, avant des locaux en dur. Puis la première victime de viol, en 1999. « Cette femme avait été violée à 500 mètres de l’hôpital », se souvient-il : « À l’époque, j’ignorais que ce serait le début d’une série de plus de 50 000 victimes. »

 « Notre pays est malade, mais nous allons le soigner »

 « Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme ; chaque mère violée à ma mère et chaque enfant violé à mes enfants. Comment me taire quand nous savons que ces crimes contre l’humanité sont planifiés avec un mobile bassement économique ? », s’interrogeait Denis Mukwege, quand il recevait le prix Sakharov en novembre 2014, prix qui récompense une action exceptionnelle dans le domaine de la défense des droits de l’homme, la liberté d’expression, la défense du droit des minorités.

« Quel est cet être humain doué de conscience qui se tairait quand on lui emmène un bébé de six mois dont le vagin a été détruit soit par la pénétration brutale, soit par des objets contondants, soit par des produits chimiques ? », avait-il dit devant les députés européens, en réclamant un règlement européen au sujet de l’approvisionnement en minerais.

« Médecin dans le Kivu, en RDC, je suis donc devenu militant. Impossible de me taire et de me contenter de soigner ces femmes le mieux que je peux. Impossible de ne pas sortir de mon hôpital pour interpeller le monde, saisir toutes les tribunes possibles pour dénoncer ce qui est une arme de guerre au même titre que les autres, » a-t-il déclaré.

Depuis qu’il a compris qu’il fallait s’attaquer aux causes de l’injustice plutôt que s’intéresser uniquement aux effets, sa vie est en danger au Congo. Selon lui, « derrière ces viols de guerre, derrière cette arme de destruction massive, il y a de l’argent sale ».

En 2012, il a été attaqué. Cette attaque s’est passé le soir du 25 octobre 2012, ses enfants étaient pris en otage. « Quand je suis arrivé, mon ami Joseph, qui a voulu me protéger quand ces messieurs voulaient tirer sur moi, malheureusement c’est lui qui a pris la balle. Nous sommes tous les deux tombés et ils sont partis. Il a perdu sa vie en essayant de me sauver, »  regrette-t-il.

Et aujourd’hui, pour sa sécurité, l’homme vit l’hôpital, avec sa famille et les malades. Depuis, sa protection est assurée par les forces des Nations unies. En avril dernier, un autre gynécologue congolais, le docteur Gildo Byamungu, a été assassiné à son domicile d’Uvira, toujours au sud Kivu.

Au Congo, la situation est restée comme celle qu’a vécu le « réparateur » en 2012 : rien n’est fait. Dans son livre Plaidoyer pour la vie paru l’an dernier, il a écrit : « Je sais que je suis plus que jamais exposé. Je ne quitte plus l’hôpital de Panzi. Combien de temps devrons-nous vivre ainsi comme dans une prison ? Mon seul espoir ce sont les prochaines élections présidentielles et parlementaires ».

Toutefois, l’homme tient à éclairer : « je ne suis pas politicien ». Il ne se réclame qu’une chose : « sentinelle par rapport aux politiciens. » Et pour ça, l’homme se prononce en faveur d’une alternance politique chez lui au Congo, au plus vite. Comme un grand opposant.

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