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Zimbabwe: comprendre le chaos en 5 points

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Après 37 ans passés à la tête du pays, Robert Mugabe, 93 ans, est en train de connaitre ce qui pourrait être la fin de sa présidence. Hararé s’est réveillé ce 14 novembre sous le rythme des volontés dictées par l’armée, qui dit ne pas être en train de faire un « coup d’État ». Mais depuis, Robert Mugabé est assigné dans une villa dans la capitale, alors que sa femme reste introuvable. La guerre pour la succession de Robert Mugabe à la présidence du pays a pris un nouveau tournant. Retour sur cette crise en 5 points.

Grace, la disgrâce de dame Mugabe

La manœuvre Grace Mugabé pour arriver la tête du pays est un acte mal pris à Hararé, surtout par l’armée. Après avoir longtemps caché son appétit pour le pouvoir, elle l’a finalement et très clairement affiché. « Je dis à M. Mugabe : vous devriez […] me laisser prendre votre place. N’ayez pas peur ! Si vous voulez me donner votre poste, donnez-le-moi librement, » a-t-elle lancé, dimanche 5 novembre, face à des milliers de jeunes de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, réunis dans l’enceinte d’un stade de la capitale Harare. A 52 ans, elle apparaît de plus en plus pressée. En effet, tout a commencé par basculer quand elle a fait tomber un des plus sérieux potentiels successeurs à son époux, le vice-président Emmerson Mnangagwa, qu’elle accusait depuis des mois de tenter de déstabiliser le chef de l’État. Mais cette volonté de succéder à son mari lèse à Hararé.

Grace Mugabe est loin d’avoir les faveurs de la majorité des Zimbabwéens. Elle a une très mauvaise réputation dans le pays. Elle est considérée comme égoïste, cruelle et pouvant se montrer violente. Elle n’inspire pas confiance, et multiplie les coups d’éclat comme cet été où, pour une raison encore obscure, elle s’en est violemment prise à un mannequin dans un hôtel sud-africain. Mettant à mal les relations entre les deux pays, elle avait invoqué l’immunité diplomatique pour échapper à la police, immunité qui lui avait été accordée. Quelques semaines plus tôt, elle avait invoqué cette même immunité, après avoir détruit le matériel de journalistes croisés à Singapour.

Emmerson Mnangagwa, le « Crocodile » qu’il ne fallait pas menacer

Fidèle au président Mugabe pendant des décennies, Emmerson Mnangagwa était le bras droit du chef de l’État autant que son exécuteur des basses œuvres. Le 6 novembre, si son limogeage avait surpris plus d’un, ce n’était que la confirmation que Grace Mugabé avait un plan élaboré. S’en est suivi, une vaste purge des soutiens de Mnangagwa au sein du gouvernement. Âgé de 75 ans, surnommé le « Crocodile » en raison de son caractère impitoyable, Emmerson Mnangagwa est l’ancien patron des services de renseignement. Il a joué un rôle-clé dans les violences qui ont ensanglanté la présidentielle de 2008, remportée par Robert Mugabe après le retrait de l’opposant, Morgan Tsvangirai. En octobre, il a perdu son portefeuille de ministre de la Justice. Il a toutefois été maintenu à la vice-présidence, dont il occupe un des deux postes depuis 2014.

Ses partisans ont suggéré que cette tentative avait été ourdie par Grace Mugabe, qui a très vigoureusement démenti. Depuis son limogeage, l’armée est finalement convaincue des manœuvres de Grace Mugabé qui a beaucoup d’influences sur son mari. Cela fait des mois que le torchon brûle entre les deux camps : en août, Emmerson Mnangagwa avait affirmé avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement. Il avait pris soin de ne pas avancer de possible commanditaire, mais ses partisans assuraient qu’il avait été délibérément intoxiqué par le biais d’une crème glacée fabriquée dans une laiterie appartenant à Grace Mugabe. Des accusations que la Première dame avait vivement démenties.

Mercredi, après quelques jours d’exil, il a tweeté pour demander aux « Zimbabwéens de rester calmes et d’écouter les informations. Je suis de retour au Zimbabwe et serai occupé au cours des prochains jours. Je communiquerai avec vous à travers les moyens de communication officiels ».

La lassitude Mugabé

La tenue de l’élection présidentielle au Zimbabwe explique d’une part cet acharnement de Grace Mugabé. Mais d’autre part, la fébrilité de Mugabé devant cet état de confusion où tout semble dire qu’il a déjà cédé sa présidence est de trop. Même si à Hararé, il n’y a pas d’effusion de joie, et même pas d’expression d’une angoisse, la population s’était lassée de son président depuis. Principale cause, une économie qui ne cesse de détériorer.

En effet, quand il arrive au pouvoir en 1980, Robert Mugabe, marxiste convaincu, mène d’abord une politique de réconciliation favorable à l’économie encore largement dominée par les anciens colons blancs. Très vite sous la pression des opposants, des déçus de l’indépendance, le régime se durcit, privilégie ses affidés et commence à casser méthodiquement le moteur de son économie, l’agriculture. Les fermes dirigées par des Blancs sont nationalisées puis confisquées pour être confiées à des Noirs bien souvent totalement dépourvus de compétence agricole. L’an dernier la production de blé est tombée à 20 000 tonnes, 16 fois moins que dans les années 90. Aujourd’hui un habitant sur quatre dépend de l’aide alimentaire. 80 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la principale activité, informelle, c’est le commerce à la sauvette où règne le troc, faute de disponibilité d’argent liquide.

Ce que veut l’armée

« La purge actuelle qui vise clairement les membres du parti qui ont été engagés dans la guerre d’indépendance doit cesser immédiatement », a lancé le général Constantino Chiwenga, le chef de l’armée zimbabwéenne, en lisant un communiqué devant la presse au quartier général de l’armée ce 13 novembre. « Nous devons rappeler à ceux qui sont derrière ces dangereuses manigances que lorsqu’il s’agit de protéger notre révolution, l’armée n’hésitera pas à intervenir », a rappelé le général.

Mercredi matin, le général Sibusiso Moyo a expliqué que cette opération n’était pas « un coup d’État contre le gouvernement » et assuré que le chef de l’État et sa famille était « sains et saufs » et « en sécurité ». L’objet de l’opération militaire est d’abord de faire triompher, au sein de la Zanu-PF, le parti au pouvoir, la faction des partisans du vice-président Emmerson Mnangagwa, contre celle de Grace Mugabe, dite la « Génération 40 ».

Le cas Mugabe

Entre sauver la face ou sauver l’avenir de sa femme, certains spécialistes estiment que le choix de Mugabe pencherait plutôt vers la première option : se retrouver enfermé chez lui par son cercle le plus proche, privé de tout pouvoir est assez infamant pour un homme comme lui, estime-t-on. Il est possible qu’il aille vers une solution de sortie de crise qui lui permette de se maintenir au pouvoir jusqu’au bout. Malgré son âge avancé, Robert Mugabe a toujours refusé de nommer un successeur et a même annoncé qu’il briguerait un nouveau mandat en 2018. Le jeu reste donc ouvert et les couteaux s’aiguisent.

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