Accueil Afrique de l'ouest  Monnaie unique dans la CEDEAO: la volonté faiblit, l’espoir se dissipe

 Monnaie unique dans la CEDEAO: la volonté faiblit, l’espoir se dissipe

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Annoncée de manière prophétique sur l’an 2020, les populations de la zone de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devront encore espérer un peu avant de voir la monnaie unique. L’objectif 2020 vient d’être annoncé improbable.

L’an 2000 : les pays d’Afrique de l’Ouest expriment leur volonté d’accélérer le processus d’intégration monétaire entamé au début des années 1980, qui s’est concrétisée par un projet prévoyant la création en deux phases d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest. Ce plan présageait, dans sa première phase, le lancement en janvier 2015 d’une monnaie unique, l’Eco, par les pays membres de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO). Dans un deuxième temps, la ZMAO devait fusionner avec l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) pour créer, en 2020, une monnaie unique dans l’ensemble des quinze pays membres de la CEDEAO.

Après trois premiers reports, en 2003, 2005 et 2009, les responsables ouest-africains ont finalement renoncé, en juillet 2014, à lancer l’Eco en janvier 2015, invoquant le niveau insuffisant de préparation et de convergence économique entre les États membres de la ZMAO. À cette occasion, ils ont également décidé de changer de stratégie en abandonnant l’étape intermédiaire de 2015 avec la monnaie unique de la ZMAO, et en reprogrammant la création d’une monnaie unique pour l’ensemble de la CEDEAO pour 2020.

Selon l’agenda fixé, le lancement de la monnaie unique devait commencer par les pays qui disposent de leurs propres monnaies (Gambie, Ghana, Guinée, Nigeria et Sierra Leone) auxquels devront se greffer les 8 pays membres de l’UEMOA qui font partie de la zone franc qui ont en commun le CFA.

Cependant, le non-respect de l’échéance 2015 pour le lancement de la monnaie unique dans la ZMAO et les trois reports successifs n’avaient déjà pas manqué d’alimenter les débats. La faute à une conjoncture économique compliquée pour plusieurs pays de la zone, notamment le Nigeria, le Ghana et même la Côte d’Ivoire.

En effet, cette dernière date butoir de 2020 avait soulevé beaucoup d’espoirs du côté des populations. Ces dernières années, c’était même devenu une fierté pour nombre d’Africains qui voyaient dans la future monnaie unique une monnaie beaucoup plus stable et plus crédible que les monnaies actuellement en vigueur. L’objectif d’une monnaie africaine commune est depuis longtemps l’un des piliers de l’unité africaine, un symbole du dynamisme qui, l’espèrent ses partisans, devra faire émerger des efforts d’intégration du continent. Aujourd’hui, cette nouvelle du report tombe au plus mauvais moment, alors que le continent est en plein débat sur l’avenir du franc CFA.

Difficultés

La CEDEAO est la principale organisation intergouvernementale de la région, créée en 1975 à la suite de la signature du traité de Lagos. Depuis sa création, son objectif est de promouvoir la coopération et l’intégration avec pour but de créer une union économique et monétaire ouest-africaine.

Dernière étape-clé : le 1er janvier 2015, neuf pays de la Cedeao ont adopté un « tarif extérieur commun », c’est-à-dire des droits de douane unifiés. Toutefois, sur la question de la création de la monnaie unique, nombre de difficultés subsistent : notamment, la valse-hésitation du leader Nigeria.

Le président nigérian a manifesté son avis de voir la monnaie de la Cedeao sortir certes, mais au bout d’un processus exempté de toute précipitation (faisant allusion à l’échéance 2020). Selon plusieurs experts, la création d’une telle monnaie nécessite le poids d’une puissance économique. Un Nigeria devra être à cette nouvelle monnaie, ce qu’a été l’Allemagne à la création de l’euro.   Le PIB du Nigeria représente à lui seul les deux tiers du PIB de toute la région Cédéao.

Cependant, si la Cedeao, et plus particulièrement l’UEMOA, sont d’importants marchés pour ce pays, absorbant près de 2 milliards $ de ses exportations, ce volume des échanges n’est pas loin de la relation économique avec l’Afrique du Sud toute seul (1,9 milliard $) et très faible en comparaison aux exportations globales du Nigéria en 2016 (35,8 milliards $). L’économie nigériane n’est pas concentrée dans la zone Cedeao.

Par ailleurs, la Côte d’Ivoire, deuxième leader de l’espace exporte plus dans la CEDEAO (2,8 milliards $ en 2016) qui est son principal marché africain, mais avec des exportations totales qui, à la fin 2016, ont représenté seulement 11,3 milliards $. L’économie ivoirienne reste assez modeste, comparée à celle du Nigéria, pour porter la communauté.

Peut-être un espoir pourrait venir du Maroc. Le royaume chérifien est fortement ancré dans les économies, notamment de l’UEMOA, et pourrait en tandem avec la Côte d’Ivoire, constituer le binôme moteur, compensant les hésitations du Nigéria. Le Maroc a d’ailleurs manifesté son envie d’opter pour la monnaie de la Cedeao, au cas où l’opération devenait effective.

Toutefois, les récents chiffres de l’excédent commercial du Maroc sur les pays de la Cedeao montrent bien que son intérêt est d’abord économique, alors que l’Eco est avant tout un projet politique.

Scepticisme

Pour le président de la commission, M. Marcel de Souza : « l’analyse des critères de convergence et de stabilité montre que le pari de créer une monnaie unique en 2020 ne pourra pas être tenu, surtout dans la précipitation. »

En cause, il a évoqué l’entrée du Nigeria en récession avec un taux d’inflation, en fin décembre, de 18 %, le cas du Ghana également avec un taux moyen de 15 %. « Deux grandes économies de l’Afrique de l’Ouest face auxquelles les 8 pays de l’UEMOA réuni et même en bonne santé économique ne représentent, en termes de PIB, qu’un peu au-dessus de 10 % ».


On ne peut plus aller à la monnaie unique en 2020


A en croire ce dernier, la feuille de route visant à aboutir à cette monnaie n’a pas été mise en œuvre vigoureusement. Sur les quatre objectifs fixés, les résultats ne sont pas au rendez-vous. De 2012 à 2016, aucun pays n’a pu respecter de manière continue les critères de premier ordre du programme de convergence macro-économique.

L’harmonisation des politiques monétaires entre les huit monnaies de la Cedeao, qui devait précéder la monnaie unique, n’a pas été effective. Et l’institut monétaire, prélude à une Banque centrale commune, n’a pas vu le jour.

Pour conclure, comme le Président nigérien, que « face à cette situation, on ne peut plus aller à la monnaie unique en 2020 ».

Monnaie unique : une nécessité

Sur les 15 pays membres de la Cedeao, 8 ont en commun le franc CFA, arrimé à l’euro, rassemblé au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), et chacun des sept autres a sa propre monnaie : l’escudo pour le Cap-Vert, le dalasi pour la Gambie, le cédi pour le Ghana, le franc guinéen pour la Guinée, le dollar libérien pour le Liberia, le naira pour le Nigeria et le leone pour la Sierra Leone. Des monnaies qui ne sont pas convertibles entre elles.

« Les avantages d’une monnaie unique, c’est d’abord la stabilité financière de la sous-région, la mise en commun de nos réserves, cela augmente notre force, et les avantages actuels de l’UEMOA » estime Hassoumi Massaoudou, ministre nigérien des Finances.

Dans l’environnement monétaire international actuel, caractérisé notamment par l’absence de règles de bonne conduite monétaire unanimement acceptées, les pays d’Afrique de l’Ouest – comme la plupart des autres pays en développement – ne sont pas à l’abri des secousses monétaires résultant des politiques mises en œuvre dans le reste du monde.

« Dans une telle situation, seule la monnaie unique peut offrir aux pays d’Afrique de l’Ouest l’opportunité de faire face collectivement, et donc plus efficacement, à ces bouleversements, et permettre notamment à chaque pays de disposer d’une monnaie unique, dont la valeur par rapport aux autres monnaies du monde pourrait mieux soutenir ses objectifs de croissance économique et de création d’emplois » a estimé la Banque africaine pour le Développement qui espère que la monnaie de la Cedeao pour donner un exemple aux autres communautés africaines.

Le président nigérien Mahamadou Issoufou a cependant suggéré la mise en « circulation à partir de 2020 » d’une monnaie unique au sein des pays de la Cedeao « qui sont techniquement prêts », suivant le modèle européen avec l’euro. « L’adhésion » des autres États pourrait se faire au fur et à mesure », a-t-il dit, redoutant que les remises en question répétitives des dates de l’avènement de cette monnaie unique puissent finir par installer un scepticisme dans l’esprit des populations ouest-africaines. Avant qu’il ne soit trop tard.

 

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