Accueil Afrique central En Afrique, le gri-gri et le maraboutage ‘assurent’ encore le football

En Afrique, le gri-gri et le maraboutage ‘assurent’ encore le football

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Il faut croire que le résultat final d’un match de football ne dépend pas toujours des vingt-deux acteurs sur la pelouse. Tout n’est pas que football et sur les stades africains on croit souvent à l’irrationnel.

On ne badine pas avec la sorcellerie quand il s’agit du foot. Sur le continent, aux portes des vestiaires, on entend parfois des incantations, des mantras récités avec détermination et même des animaux sacrifiés la veille des rencontres fatidiques.

À la dernière CAN, le Tunisien Ferjani Sassi n’a pas hésité à accuser le Sénégal de faire usage de la magie « boukhoukhou ». « Joueur j’avais toujours une chaine au cou. Les joueurs qui faisaient le pressing sur moi quand j’avais le ballon voyaient des serpents » témoigne de son côté Benjamin Diboué, footballeur camerounais.

Des équipes nationales disposent d’ailleurs des marabouts pour « la préparation spirituelle ». La pratique est également récurrente au Sénégal où des marabouts peuvent selon les informations « changer le cours d’un match ».

En 2002, pour s’être qualifié à la CAN et la Coupe du monde, le pays aurait ainsi dépensé près de 90 millions de FCFA pour des pratiques mystiques auprès des marabouts. Si toutes les conditions sont réunies « je peux décider du sort d’un match », s’enorgueillit l’un d’entre eux rencontré à Dakar. Avant de rappeler dans un éclat de rire : « C’est quand même chez nous que la France s’est préparée pour être championne du monde en 1998 ».

Du talent et des sacrifices

La pratique est restée dans les habitudes et reprise par la jeune génération. En finale de la dernière Coupe d’Afrique des nations des moins de 20 ans, Ibrahim Ndiaye, attaquant sénégalais, a tenté de jeter un sort à ses adversaires zambiens en déposant dans le but adverse un gri-gri. Un comportement que n’ont pas apprécié les Zambiens. Le gri-gri sera finalement enlevé. Le Sénégal a d’ailleurs perdu 2-0. Dans d’autres pays comme le Bénin ou le Mali, l’on dénombre des marabouts ou des féticheurs fortunés.

Leur travail consiste à « préparer » des équipes et des joueurs moyennant de grosses sommes. Au Nigéria, ils arrivent que deux marabouts se fassent une guerre spirituelle sur l’issue d’un match. Chacun ayant rassuré son équipe de « tout faire pour qu’elle gagne ». Mais la situation est différente au Congo où des joueurs de certains clubs sont parfois emmenés à laver leurs maillots dans « des liquidés offerts par des marabouts ».

En Côte d’Ivoire, un ancien joueur de la ligue 1 n’a pu digérer un week-end une défaite contre une rivale historique. « Nous avons pourtant, affirme-t-il, fait tout ce que demandait le préparateur spirituel ». Même les plus grands joueurs du continent n’y échappent pas, notamment de récents ballons d’or africains. Parmi eux, Samuel Eto’o et Didier Drogba, serials buteurs avec leurs clubs et héros dans leurs pays respectifs. En dehors de leur talent, il leur faut « travailler et se préparer spirituellement ».

Pour être meilleur, Didier Drogba sacrifierait ainsi des animaux. Prescription de son marabout. Eto’o de son côté travaillerait ses qualités naturelles par des préparations spéciales. Il a même été accusé par son ancien coéquipier Bernard Tchoutang d’avoir envoûté Joseph-Désiré Job pour prendre sa place de titulaire et finir meilleur buteur de la CAN 2000. Lui réfute cette accusation et affirme que sa « vraie magie reste le travail ».

Gangrène pour le foot africain ?

Au Togo, beaucoup ont tenté d’expliquer l’impressionnant parcours réalisé par Emmanuel Adebayor en 2005 durant les éliminatoires de la coupe du monde 2006. Ses buts inattendus, son passage dans les clubs du Premier League jusqu’à son arrivée au Real Madrid. « On ne réalise pas ce qu’il a fait en étant un homme simple. C’est quelqu’un qui se prépare », considère un de ses supporters. Quand en 2016 Emmanuel Adebayor sans club n’apparaît plus sur les terrains d’un championnat étranger, « l’histoire de son marabout est évoquée ». Le joueur togolais serait entré en brouille avec son directeur spirituel nommé Alpha Abrangao.

C’est à ce dernier que revenait la tâche d’effectuer des sacrifices pour permettre à l’ancien joueur d’Arsenal de briller. Les bonnes performances des joueurs seraient donc liées à leurs amulettes et préparations ? « Parfois il n’y a rien. J’en connais qui restent profondément attachés à Dieu. Mais le public veut toujours trouver explication à tout », tempère un responsable de centre de formation de football à Lomé. Un but marqué, une célébration « bizarre », un coup franc envoyé en pleine lucarne dans les dernières minutes d’un match. Mais également des mimiques habituelles ou phrases marmonnées avant le début d’une rencontre. Qu’ils jouent ou qu’ils se blessent, les supporters tentent d’y voir une explication.

Ce ne que ne réfute pas un ancien joueur béninois. « Quand on tape dans une balle et quand on ne vit que de ça, il vous faut être solide spirituellement », justifie-t-il. « Ce n’est pas quelque chose de mauvais », ajoute un de ces anciens coéquipiers togolais. Tous deux avouent avoir eu besoin d’un marabout dans leur courte carrière. « Il nous fallait des amulettes pour nous protéger. Tu as vite fait d’être poussé sur le banc par ton propre coéquipier. Pour une blessure inexplicable. Le foot va vite ». Pourtant, la forte présence du maraboutage sur le continent n’enchante pas Joseph-Antoine Bell.

Pour l’ancien gardien camerounais, la pratique plombe les équipes africaines. « On ne compte plus que sur ça. La préparation psychologique est négligée », regrette-t-il. Si pour l’heure aucune disposition n’est prise pour mettre fin à la pratique les pays s’emploient à la combattre. La Fédération rwandaise a par exemple été obligée d’interdire officiellement la sorcellerie.

Dépitée de constater sur les terrains certains comportements et des arbitres qui se voient obligés d’interrompre les matches pour « régler des problèmes de gri-gri ». Pour le secrétaire général de la fédération, « nous avons constaté que le simple fait de voir des gris-gris déstabilise les équipes et les joueurs adverses ».

Des sanctions ont été mises en place pour tout usage de la magie. « Environ 115 euros d’amende pour les joueurs, et jusqu’à 3 380 euros pour les clubs ». Un exemple que d’autres pays du continent ne semblent pas être à suivre.

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